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    Carcinomes des lèvres

    es lèvres sont constituées de toutes les parties molles qui
    forment la paroi antérieure de la cavité buccale. De nombreuses
    tumeurs malignes peuvent occasionnellement les affecter. La
    plus fréquente (plus de 90 % des cas), est le carcinome
    épidermoïde, ou épithélioma spinocellulaire, dont la localisation
    est typiquement labiale inférieure (plus de 95 % des cas),
    rarement labiale supérieure. La précession d’une lésion épithéliale
    précancéreuse est très fréquente. D’autres carcinomes
    sont rencontrés, en particulier salivaires naissant des glandes
    salivaires accessoires sous-muqueuses et basocellulaires,
    plutôt rares dans cette localisation.
    Rappels anatomiques
    Les lèvres présentent 3 zones : un versant cutané pur, le
    vermillon ou lèvre rouge (zone de Klein) entre la zone de
    contact des 2 lèvres et la peau, un versant muqueux pur qui
    se réfléchit sur la gencive en formant le vestibule buccal
    (figure 1).
    La structure des lèvres comporte de dehors en dedans : la peau,
    épaisse et riche en follicules pileux et glandes sébacées, le tissu
    cellulaire sous-cutané, absent dans la région médiane et
    commissurale, le squelette musculaire ; une couche de glandes
    muqueuses salivaires labiales, et la muqueuse, très adhérente
    à la couche glandulaire (figure 2).
    en ligne sur / on line on
    www.em-consulte.com/revue/lpm
    www.sciencedirect.com
    Presse Med. 2008; 37: 1490–1496
     2008 Elsevier Masson SAS.
    Tous droits réservés.
    Cancers cutane´ s
    Dossier thématique
    1490 Mise au point
    Key points
    Carcinoma of the lips
    Epidermoid carcinoma, that is, squamous cell carcinoma of the
    skin, is the most common malignant tumor of the lips.
    It occurs especially in men.
    Its primary causes are sun exposure, smoking, and chronic
    irritation.
    Leukoplakia is the most frequent precancerous lesion.
    Epidermoid carcinoma may appear clinically as a scaly erosion or
    an ulceration.
    Standard treatment is surgical excision with reconstruction.
    Points essentiels
    Le carcinome épidermoïde est la tumeur maligne la plus fréquente
    des lèvres.
    Il survient surtout chez les hommes.
    Les causes essentielles sont l’exposition solaire, l’usage du tabac,
    des irritations chroniques.
    La leucoplasie est la plus fréquente des lésions précancéreuses.
    L’aspect clinique du carcinome épidermoïde peut être une
    érosion croûteuse ou une ulcération.
    Le traitement habituel est la chirurgie d’exérèse avec plastie de
    reconstruction.
    tome 37 > n810 > octobre 2008
    doi: 10.1016/j.lpm.2008.06.008
    La vascularisation et le réseau lymphatique sont très importants.
    La sensibilité est assurée par des branches du trijumeau
    (V), nerf sous-orbitaire pour la lèvre supérieure, nerf mentonnier
    pour la lèvre inférieure, et la motricité est assurée par des
    branches du facial (VII).
    Carcinomes épidermoïdes
    Aspects épidémiologiques
    L’incidence exacte des carcinomes de la lèvre est difficile à
    évaluer car ils font l’objet d’une approche épidémiologique
    globale avec les cancers de la cavité buccale, du pharynx et
    du larynx (voies aérodigestives supérieures [VADS]) et les
    cancers de l’oesophage. Certaines caractéristiques sont en effet
    communes, parmi lesquelles le fait qu’ils soient souvent liés au
    tabagisme et à la consommation excessive d’alcool. Les derniers
    indicateurs et données en France [1] figurent dans le
    tableau I.
    Les 24 500 nouveaux cas de cancers des VADS et de l’oesophage
    observés correspondent pour 63 % à la sphère « lèvres,
    cavité buccale, pharynx » (pour 17 % au larynx et pour 20 % à
    l’oesophage). Selon les enquêtes, la distribution précise par
    sous-localisation varie, elle n’est pas toujours disponible en
    France. En 1995, sur un total de 21 597 cancers des VADS
    (14 926 chez l’homme et 6 671 chez la femme), 410 localisations
    labiales (code 140 dans la classification ICD-9, et C00 dans
    l’ICD-10) ont été enregistrées (375 hommes et 35 femmes)
    ayant entraîné 104 décès (92 hommes et 12 femmes) [2].
    Dans les localisations VADS, le cancer des lèvres est en
    7e position chez l’homme et en 9e position chez la femme
    par ordre de fréquence. Il représente 6,6 % des cancers
    buccaux en France (2 % seulement dans notre série à l’hôpital
    de la Salpêtrière) [3].
    Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux rapportés de
    manière plus générale chez les caucasiens (race blanche), où
    le cancer labial représente 25 à 30 % de tous les cancers
    buccaux [4,5]. Cette variation est probablement due à une
    implication différente des principaux facteurs de risque : radiations
    ultraviolettes (UV) et tabac.
    Le carcinome épidermoïde labial est un cancer de l’homme
    d’âge mûr. Le sex-ratio est de 10 à 20 :1. La femme est affectée
    dans 2 % à 2,8 % des cas ; 90% des patients ont plus de 45 ans
    et 50 % ont 65 ans et plus [4]. Le carcinome de la lèvre rouge
    est beaucoup plus rare chez les ethnies à peau foncée dont les
    individus à peau jaune.
    Facteurs étiologiques
    L’exposition chronique au soleil (UV) constitue un risque
    admis de carcinome labial prédominant chez les personnes
    à peau claire ayant vécu au grand air, exposées au soleil et
    aux intempéries (paysans, marins) ou vivant dans des latitudes
    très ensoleillées (Australie, Texas. . .). Le rôle carcinogène
    des UV B est démontré et apparaît prépondérant
    devant les UV A et C. Le risque augmente avec la durée de
    l’exposition et l’âge, avec un effet seuil. C’est souvent sur des
    lésions de chéilite actinique que le carcinome épidermoïde
    peut se développer. Son incidence n’est toutefois pas toujours
    corrélée à l’exposition au soleil. Comme on l’a vu, d’autres
    facteurs exogènes interviennent et ont une action synergique,
    en particulier le tabagisme. Le tabac qui peut être
    consommé de diverses manières (cigarette, pipe, chique
    etc. . .) peut être responsable de kératoses ou leucoplasies
    1491 Mise au point
    Figure 1
    Anatomie des lèvres
    Figure 2
    Coupe sagittale de la lèvre inférieure
    Carcinomes des lèvres
    Cancers cutane´ s
    tome 37 > n810 > octobre 2008
    où les dysplasies épithéliales sont fréquentes, faisant le lit du
    carcinome épidermoïde labial.
    Des carcinomes labiaux ont par ailleurs été observés chez les
    greffés d’organes (reins, coeur, foie) sous traitement immunosuppresseur
    dans des délais variant de 2 à 4 ans [6]. Chez les
    transplantés rénaux par exemple, il est prouvé que le risque est
    majoré en fonction du phototype (clair), d’une exposition
    solaire élevée et de la durée de l’immunosuppression induite.
    Le rôle cocarcinogène du HPV (Human Papilloma Virus),
    fréquemment trouvé dans les lésions de ces patients, demeure
    controversé. Il l’est moins dans le carcinome verruqueux qui
    peut occasionnellement se localiser aux lèvres avec une évolution
    lente vers la transformation maligne.
    D’autres affections telles les lésions chroniques (radiodermites,
    brûlures) peuvent faire le lit du cancer labial. Il faut également
    citer la maladie de Bowen, l’érythroplasie de Queyrat et certaines
    génodermatoses tel le xeroderma pigmentosum ou
    l’albinisme.
    Aspects cliniques
    La localisation typique du carcinome épidermoïde labial est le
    tiers moyen de la lèvre inférieure. C’est également la localisation
    privilégiée chez la femme même s’il existe un plus grand
    pourcentage de localisations labiales supérieures que chez
    l’homme.
    Cliniquement, il apparaît d’emblée, ou se développe sur une
    lésion précancéreuse.
    Lésions précancéreuses
    La leucoplasie est la plus fréquente dans notre expérience. Elle
    est le plus souvent d’origine tabagique (leucoplasie en pastille
    de la lèvre inférieure des fumeurs de cigarette avec parfois une
    lésion similaire en « décalque » au niveau labial supérieur)
    (figure 3). Il s’agit de placards plissés blanchâtres plus ou
    moins épais et étendus mais superficiels. L’aspect est soit
    homogène (hyper-, ortho-, et parakératosique avec un infiltrat
    inflammatoire chronique), soit nodulaire inhomogène
    (speckled leucoplakia des anglosaxons) où des dysplasies
    épithéliales sont souvent rencontrées [7]. Toute fissuration,
    érosion ou végétation apparaissant sur une leucoplasie labiale
    fait craindre une transformation maligne.
    Le carcinome épidermoïde labial peut aussi se développer à
    partir d’une chéilite actinique [6]. C’est une hyperkératinisation
    réactionnelle apparaissant sur des lésions initialement érythémateuses
    et squameuses à surface irrégulière non indurée. Des
    croûtes se forment, et leur arrachement provoque de petits
    saignements (figure 4). Des surinfections sont possibles. Les
    lésions de chéilite actinique doivent être surveillées régulièrement
    (au moins 1 fois par an). Il est difficile d’y apprécier
    cliniquement la transformation maligne et un contrôle histologique
    est souvent indispensable. En présence de dysplasies,
    l’exérèse est la règle, souvent en recourant à une vermillonectomie.
    Il s’agit de l’ablation de l’ensemble de la lèvre rouge
    1492
    Tableau I
    Indicateurs et données du cancer en France métropolitaine
    Cancer, toutes localisations Cancer des VADS + oesophage
    Hommes Femmes Hommes Femmes
    Mortalitéa 86 520 56 740 9 100 1 600
    Incidence (nouveaux cas)a 161 000 117 000 20 900 3600
    Admissions en ALDb 135 100 118 800 15 700 2 950
    Séjours hospitaliersc 712 600 55 388
    a Année 2000.
    b Année 2002.
    c Année 20002, hors séances de chimiothérapie et radiothérapie.
    Figure 3
    Leucoplasie tabagique
    L Ben Slama
    tome 37 > n810 > octobre 2008
    pour examen histologique de la totalité de la pièce. La réparation
    se fait par glissement de la muqueuse de la face interne de
    la lèvre inférieure. Il est à noter que la chéilite actinique peut
    être associée à d’autres kératoses actiniques des téguments
    exposés, particulièrement la face.
    Chéilite actinique et chéilite tabagique peuvent s’associer et
    augmenter le risque de carcinome.
    Enfin, le carcinome épidermoïde labial peut se développer sur
    d’autres lésions précancéreuses comme :
     l’e´ rythroplasie de Queyrat (rarement labiale pure) ;
     les le´ sions liche´ niennes chroniques ;
     les le´ sions de lupus chronique ;
     une che´ ilite glandulaire chronique, les cicatrices de bruˆ lures ;
     les radiodermites ;
     les ulce´ rations chroniques.
    Types de description
    Le carcinome épidermoïde se présente le plus souvent sous
    forme d’une érosion chronique, croûteuse, ou comme une
    ulcération à bords irréguliers, infiltrante, d’évolution lente
    (figure 5). L’aspect de tumeur végétante ou bourgeonnante
    est plus rare. Un signe important est l’induration de la lésion
    qui est perceptible en périphérie, plus ou moins étendue en
    profondeur, qui déborde toujours largement les limites visibles
    de la lésion. En évoluant, la tumeur prend une forme ulcérovégétante.
    L’extension du côté buccal peut atteindre le
    sillon gingivolabial, la gencive et l’os mandibulaire ou en
    dehors la commissure labiale et la joue avec dans ce dernier
    cas un pronostic beaucoup plus sévère. Des localisations labiales
    multiples sont possibles. Des carcinomes épidermoïdes
    peuvent être présents dans d’autres localisations, VADS ou
    cutanées.
    Les métastases ganglionnaires sont habituellement tardives ; la
    fréquence des métastases lymphatiques primaires varie de 2 à
    10 % lors de la première consultation [8] ; elles sont sousmentales,
    sous-mandibulaires et, dans les cas avancés, préauriculaires
    et jugulocarotidiennes. Les carcinomes très bien
    différenciés métastasent dans moins de 10 % des cas alors que
    les carcinomes peu différenciés métastasent près d’1 fois sur 2.
    Les carcinomes labiaux supérieurs croissent plus vite et métastasent
    plus rapidement que les carcinomes labiaux inférieurs,
    probablement parce que le drainage lymphatique labial supérieur
    est plus riche. Métastases mandibulaires et métastases
    multiples entraînant des paralysies de nerfs crâniens ont aussi
    été rapportées.
    Histopathologie
    Le carcinome épidermoïde se développe sur une muqueuse
    d’apparence saine ou atteinte d’une précancérose originelle
    que l’on peut encore parfois reconnaître [9]. C’est une prolifération
    épithéliale maligne développée aux dépens des kératinocytes.
    Selon le degré d’infiltration et de franchissement de
    la membrane basale, on parle de carcinome in situ (ou intraépithélial
    ou dysplasie sévère), de carcinome micro-invasif ou
    de carcinome invasif.
    Dans le carcinome in situ, il existe une transformation segmentaire
    de l’épithélium portant sur toute sa hauteur sans
    modifications de la membrane basale. L’épithélium est irrégulièrement
    stratifié, avec des noyaux de forme et de taille
    inégales, hyperchromatiques et des mitoses visibles jusqu’en
    surface. Dans le carcinome micro-invasif l’aspect est proche,
    mais on détecte également quelques brèches dans la basale
    avec effraction de cellules carcinomateuses dans le chorion. Le
    carcinome épidermoïde invasif est fréquemment constaté

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